Travailler et souffrir d’épilepsie : comment gérer ?
Au travail, un épileptique peut rencontrer des difficultés, des crises, des troubles associés, tels que des problèmes cognitifs ou des troubles du comportement, avec un risque de stigmatisation.
C’est pourquoi existent des consultations « Épilepsie et Travail », comme celle mise en place au CHRU de Lille. C’est une consultation de conseil, avec un médecin du travail qui prend en charge les patients.
L’épilepsie est une maladie polymorphe, facile à stigmatiser et difficile à synthétiser. Le marché du travail est difficile, les cadences augmentent, mais le système juridique français est plutôt protecteur même s’il est complexe et comporte des failles.
Professeur Philippe Derambure, neurophysiologiste épileptologue, chef du service de neurophysiologie au CHRU de Lille, président de la Ligue Française Contre l’Épilepsie, secrétaire général de la FFRE
L’épilepsie, une maladie toujours stigmatisée
Un tiers des personnes qui souffrent d’épilepsie rencontrent un problème de stigmatisation. Cela peut s’expliquer par le fait que l’épilepsie est une maladie aux frontières de la psychiatrie et de la neurologie, conséquence de la séparation des deux domaines intervenue il y a 50 ans.
Il faut rappeler que le rôle du soignant ne se limite pas à traiter la maladie. Il doit aussi prendre en compte les conséquences de celle-ci, selon la définition de la “santé” par l’OMS. Cela commence dès l’école, notamment avec l’accès aux informations pour s’orienter vers un métier. « L’académie de Lille travaille avec nous en ce sens », indique Philippe Derambure. Cela continue à toutes les étapes de la vie, au travail par exemple et notamment à l’embauche : faut-il parler de la maladie ou pas avec son employeur, et plus tard au médecin du travail ?
Faut-il parler de son épilepsie lors d’un entretien d’embauche ?
Lors de l’embauche, on n’a pas à parler de son épilepsie devant la personne qui fait passer l’entretien. La question de l’aptitude est du ressort du médecin du travail : il s’agit surtout de ne pas altérer la santé par le travail, non d’optimiser le travail. Toutefois, les critères d’inaptitude ne sont pas clairement établis. De même, la connaissance de l’épilepsie par le médecin du travail est variable. Le médecin du travail est lié au secret médical. Son rôle peut être de proposer des adaptations du poste de travail.
Il faut savoir qu’il ne peut y avoir de restriction d’aptitude si une personne épileptique vit depuis deux ans sans crise sous traitement, ou dans le cas d’une année sans crise après une opération, ou bien si depuis trois ans une personne épileptique ne fait que des crises nocturnes.
Qu’en est-il au cours du contrat de travail ?
Au cours du contrat de travail, la question de l’aptitude se pose lorsque la maladie débute, si elle s’aggrave, ou si elle provoque des conséquences qui n’avaient pas été prévues. Sont alors en jeu l’interruption du contrat de travail ou la rupture du contrat de travail. Il faut souligner l’importance de la MDHP, qui est l’organisme qui gère toutes les conséquences d’un handicap…
Les problèmes rencontrés peuvent provenir de chutes brutales, de perte et fluctuation de conscience, de perte du sens du danger ou d’une plus faible productivité. En fait, « tous les facteurs de la maladie » doivent être pris en compte pour évaluer l’aptitude au travail. Cette évaluation résulte d’une seule visite avec le médecin du travail. Il est possible de contester une inaptitude. L’entreprise a l’obligation de reclasser le salarié s’il est en CDI. Par ailleurs, la cellule de maintien dans l’emploi peut intervenir.
Il ne faut pas oublier que chaque malade a sa propre maladie, qui doit être évaluée (évaluation cognitive, évaluation des capacités). En France, le contrat de travail est protecteur. « Attention toutefois aux pressions voire au harcèlement qui pousseraient un salarié à démissionner ou à être placardisé, prévient Philippe Derambure. Ce sont des droits, il faut se battre, le cas échéant, pour les faire respecter », ajoute-t-il.
Enfin, il faut rappeler que l’arrêt de travail correspond à une suspension du contrat de travail. La rupture du contrat de travail intervient en cas de démission et, selon les mots de Philippe Derambure, « il ne faut surtout pas démissionner ».
« Nos consultations existent pour faciliter l’accès au monde du travail », conclut le Professeur Derambure.
Témoignages & questions-réponses
• Roxane Ode témoigne : « La discrimination est réelle : je travaille depuis mes 18 ans, j’ai été renvoyée de tous mes emplois parce que je suis épileptique, même si j’ai toujours été jugée apte au travail. À 18 ans, j’ai eu une crise, mon employeur m’a dit : “Vous auriez dû me prévenir que vous étiez épileptique, je ne vous aurais jamais embauchée.” Je suis secrétaire médicale, et même dans le domaine médical, c’est difficile : j’ai ainsi été renvoyée à l’issue de mon CDD, après une crise convulsive. »
• Professeur Derambure : « La période d’essai est cruciale : il faut rappeler qu’un licenciement pour épilepsie est illégal. »
• Pauline Keravec témoigne : « Je suis encore étudiante, je préviens toujours mes maîtres de stage. »
• Témoignage dans la salle : « Je travaille à la BPCE, l’entreprise est totalement à l’écoute, j’ai un poste de travail adapté, des séances de psychothérapie payées par l’entreprise. L’entreprise m’a soutenu pour mon opération et lors de la pose d’un stimulateur. »
• Témoignage dans la salle : « J’ai été titularisé dans l’Éducation nationale après ne pas avoir répondu épileptique à la médecine du travail. Je suis maintenant à la retraite. »
• Professeur Derambure : « Je peux comprendre qu’on ne prévienne pas le médecin du travail, mais les personnes qui le font sont mieux suivies. Désormais, l’Éducation nationale ne contre-indique plus les personnes épileptiques. »
• Emmanuelle Allonneau-Roubertie : « La FFRE a organisé il y a plusieurs années un colloque avec les médecins du travail. C’est un travail constant d’informer tous les acteurs du monde de l’entreprise sur cette problématique épilepsie et travail. »
L’épilepsie et le permis de conduire
Docteur Elisabeth Landré, neurologue à l’hôpital Sainte-Anne de Paris
La question du permis de conduire préoccupe de nombreux épileptiques, tant il est synonyme de liberté. Ne pas pouvoir conduire provoque de multiples problèmes en termes de travail, de déplacements…
La question du permis de conduire se pose dès l’adolescence. Plusieurs réformes ont eu lieu. Depuis 2010, le droit français s’est mis en conformité avec les instances européennes pour certaines formes d’épilepsie. La décision n’incombe pas au médecin, mais aux autorités, à la préfecture. Le patient doit, de sa propre initiative, télécharger l’avis médical et joindre une copie de sa pièce d’identité ainsi que des photographies. Il faut s’adresser au médecin de ville agréé, et non au médecin traitant, et faire attention à encocher, le cas échéant, la case : « Atteint à sa connaissance d’une affection ou d’un handicap ». Le dossier est alors traité en préfecture.
Selon l’existence ou non de perte de connaissance, il y a une inégalité d’un patient à un autre vis-à-vis de l’aptitude. La moitié des épileptiques conduisent plus ou moins en règle.
En pratique, si on est sûr du diagnostic d’épilepsie et si l’épilepsie est stabilisée ou compatible avec la conduite, il faut remplir la demande en encochant la case « Maladie » et se mettre en contact avec la préfecture pour avoir une autorisation en règle. Il faut consulter le médecin agréé, accompagné du dossier de son médecin traitant qui doit faire un certificat et donner les résultats du dernier EEG.
Rappel : il existe deux types de permis : permis léger (groupe 1) et permis lourd (groupe 2).
L’arrêté de 2010 pose certains principes généraux pour l’aptitude :
• Moins de 2 crises en 5 ans.
• Crise d’épilepsie provoquée, ou crise déclenchée par un facteur qui peut être évité.
• Première crise.
Pour le groupe 1, permis léger
• Un examen obligatoire quand le patient n’est pas resté 5 ans sans faire une crise.
• La personne épileptique doit avoir passé une année sans crise pour pouvoir obtenir le permis.
• Le « facteur qui peut être évité » est évalué au cas par cas par le médecin.
• En cas de première crise, la personne doit avoir passé 6 mois sans crise.
• Si les crises ont lieu pendant le sommeil, l’accord est donné seulement s’il s’agit de crises sans troubles de conscience ou incapacités.
• Après une chirurgie de l’épilepsie, il faut connaître un an sans crise avant d’être autorisé à conduire.
• En cas de changement de traitement, il faut s’abstenir de conduire pendant 6 mois.
En cas d’incompatibilité, il existe une possibilité de délivrance d’un permis temporaire de 1 à 5 ans. En l’absence de crise pendant 5 ans, ce permis devient définitif. La consultation du médecin agréé coûte 33 euros et n’est pas remboursée.
Attention, l’assurance ne prend en charge les sinistres que si le patient possède un permis valide en fonction de son état de santé. En cas d’accident avec dommages corporels, l’assurance peut se retourner contre la personne épileptique si le permis n’a pas été validé en préfecture. Par ailleurs, l’omission de se soumettre au contrôle médical expose à une amende de 135 euros. Le neurologue est tenu d’informer son patient et d’écrire au médecin traitant en mentionnant que l’information a été donnée. Son but n’est pas d’interdire, mais d’informer. C’est un moment souvent délicat.
Pour le groupe 2, permis poids lourds
• Aucun traitement.
• EEG.
• 10 ans sans crise.
• Au cas par cas pour certaines pathologies.
• En cas de crise provoquée, examen au cas par cas des dossiers. En cas de première crise non provoquée : 5 ans sans crise et sans traitement. S’assurer du diagnostic d’épilepsie.
Témoignages & questions-réponses
• Pauline Keravec témoigne : « La commission m’a accordé son accord il y a 5 ans, mais depuis, j’ai connu des crises donc je ne peux pas conduire. Comme j’habite à Paris, cela ne me pose pas trop de problèmes. »
• Question dans la salle : « 10 ans sans crise, cela signifie-t-il que l’on est guéri ? »
• Docteur Landré : « Ce n’est pas une question médicale, c’est le risque que la société est prête à prendre en laissant conduire quelqu’un qui est susceptible de faire une crise. »
• Professeur Derambure : « Bonne question. Certaines épilepsies de l’enfant guérissent, on les connaît. Je dis toujours aux personnes qu’on ne peut pas toujours anticiper ce qui se passera à l’avenir, certaines épilepsies guérissent, d’autres sont moins actives. Le critère de guérison est : plus de crise, plus de traitement. »
•Témoignage dans la salle : « Mon enfant a débuté son épilepsie à 8 ans : on ne parle jamais de guérison, mais de temps sans crise. »