Quelle orientation pour un adolescent épileptique ?

Comment parler orientation à un adolescent épileptique ? 
Quels sont les interlocuteurs du patient et du jeune adulte pour son orientation et son départ dans la vie professionnelle ?

Intervenants :

Professeur Stéphane Auvin, neuropédiatre, à l’hôpital Robert Debré, spécialiste de l’épilepsie de l’enfant

Docteur Gabriel Rafi, neuropsychologue clinicien, Président de l’association Ciera

Joëlle Mezza psychologue de l’Éducation nationale au sein du Réseau Handicap Orientation de Paris

Mlle Cécile Queyroi, patiente, 

Mlle Justine Lepelletier, patiente

 

Intervention du Professeur Stéphane Auvin, neuropédiatre à l’hôpital Robert Debré

Le professeur Stéphane Auvin commence son exposé par la nécessité d’anticiper l’orientation et de répondre à plusieurs questions : quelle évolution prévisible ? Quels futurs sont possibles ? Comment évaluer les aptitudes ? Comment sera ma vie après ? Qu’est-ce que je peux faire ? Comme les autres ? Pas comme les autres ?

Pour les adolescents, c’est un peu la double peine ajoute le Professeur Auvin. Aucun adolescent ne sait ce qu’il veut faire, c’est pourquoi demander aux adolescents épileptiques de réfléchir à ce sujet est si difficile, et qu’il faut le faire très tôt en amont de l’orientation.

Quel est le taux d’emploi stable pour les adultes épileptiques ? Les résultats sont insatisfaisants. Il faut donc accompagner l’orientation en amont.

 

Les facteurs de l’orientation professionnelle 

• Orientation scolaire

• Troubles d’apprentissage

• Comorbidité

• Epilepsie

• Législation (dont permis de conduire) 

• Législation du travail

• Aptitude au travail

 

Il s’agit de faire un pari sur plusieurs années, pari difficile car de nombreux éléments sont dynamiques et changeants.

Quand on prend l’ensemble des patients, la moitié a des difficultés à l’école, ce qui ne recouvre pas uniquement des difficultés cognitives, mais aussi des problèmes d’intégration ou d’absentéisme. 

 

Aspects législatifs

Il est plus difficile pour un adolescent avec une épilepsie connue d’entrer dans certaines professions :

• Education nationale

• Sncf

• Aviation civile

• Police nationale

• Plongeurs professionnels

• Marine

• Rayonnements ionisants

 

Quelques conseils

Le Professeur Auvin insiste sur la nécessité de connaître l’état des comorbidités et d’informer le patient sur ses capacités et ce qui est impossible.  Il faut évaluer sa motivation et anticiper l’orientation. Le bon moment est en février de l’année N-1 de l’orientation. 

Par exemple, c’est en février de l’année de troisième qu’il réfléchit à l’orientation en lycée professionnel ou général. Il faut également prendre en compte les données géographiques.

Si la réglementation rend le souhait d’orientation impossible, mieux vaut le dire le plus rapidement possible à l’adolescent. Cette annonce est difficile à faire, difficile à entendre mais c’est la seule chose à faire. Le Professeur Auvin cite en exemple un patient qui voulait devenir chauffeur de bus.

L’aptitude répond à la notion de possibilité ou d’impossibilité. Si le choix d’orientation est impossible alors il faut envisager d’autres options.

L’évaluation se fait au cas par cas. Un tiers des personnes qui ont une formation professionnelle ne travaillent jamais dans le domaine pour lequel ils ont été formés. En tout état de cause, il est souhaitable d’avoir un diplôme.

Il faut noter que dans les formations en alternance ou en formations professionnelles, le chef d’atelier peut suspendre toutes les activités professionnelles du stagiaire s’il juge cela nécessaire.

Enfin, le Professeur Auvin rappelle que le soignant qui prend en charge le patient ne peut pas saisir la médecine scolaire, il doit passer par la famille et faire connaître la situation auprès du médecin scolaire avec l’accord familial (afin de respecter le secret médical).

 

 Intervention de Mme Joëlle Mezza, psychologue de l’Éducation nationale 

L’orientation et l’Éducation nationale

Mme Joëlle Mezza accueille des personnes en situation de handicap âgées de 11 à 30 ans. Elle précise qu’il n’existe pas de filières spécifiques mais des parcours divers car tous les types d’épilepsie se retrouvent en orientation. L’orientation dépend de différents critères : si l’épilepsie n’est pas stabilisée, cela peut être plus compliqué pour imaginer l’évolution dans l’avenir. 

Il faut également voir s’il existe des troubles associés, cognitifs, d’apprentissage, de lenteur de motricité fine. Chaque cas est particulier. 

Mme Mezza note que l’épilepsie est parfois seconde par rapport à un autre handicap. Certaines personnes épileptiques font des études longues, d’autres des études courtes. S’il y a à la fois une épilepsie et des problèmes scolaires et que la situation l’exige, on peut avoir recours à un PAI et à un auxiliaire de vie scolaire.

La MDPH peut, après reconnaissance du handicap, permettre la mise en place d’aménagements qui peuvent perdurer au lycée, voire dans l’enseignement supérieur.

Pour Mme Mezza, le programme d’orientation n’est pas fondamentalement différent qu’il s’agisse d’un adolescent épileptique ou non. Un adolescent reste avant tout un adolescent. Il faut partir de ses désirs et ensuite envisager les contre-indications. Celles-ci ne sont pas toujours très tranchées. Certains médecins sont plus prudents que d’autres ; Mme Mezza cite  le cas d’un jeune qui voulait travailler en cuisine et pose la question des outils dangereux.

Pour le psychologue scolaire, l’accompagnement dans l’orientation se fait sur le long terme, il faut plusieurs entretiens pour aider l’adolescent à s’approcher de sa maladie afin qu’il la prenne en compte. Beaucoup d’adolescents sont dans le déni ou la relativisation, note Mme Mezza.

Cette démarche peut être compliquée ou douloureuse car cela confronte l’adolescent et sa famille à la maladie. Parfois les adolescents veulent faire ce qui leur est contre-indiqué comme pour voir comment vont réagir les adultes. Certains adolescents ont des difficultés pour se projeter dans l’avenir, ils se censurent beaucoup et croient que rien ne va être possible. Avec un adolescent épileptique, il est aussi important de se demander jusqu’où il est raisonnable d’aller, par exemple un adolescent avec de bons résultats scolaires peut-il aller en classe préparatoire au risque, compte tenu du rythme de travail, de provoquer des crises ?

Pour conclure, Mme Joëlle Mezza conseille aussi pour s’approcher de la réalité d’aller aux journées Portes ouvertes et de faire des mini stages.

 

Intervention du Docteur Gabriel Rafi, neuropsychologue clinicien, Président de l’association Ciera

L’association Ciera

Le Docteur Gabriel Rafi explique que l’association Ciera, qui existe depuis 3 ans, a été pensée par quatre neuropsychologues pour faciliter le quotidien des patients. Le but est d’orienter au mieux le patient vers le professionnel concerné en île de France et accéder ainsi le plus rapidement possible au professionnel qui lui est nécessaire. 

L’adhésion des professionnels de santé à l’association est soumise à vérification et cooptation. Elle réunit environ 100 professionnels et a enregistré environ 250 demandes de patients.

 

L’importance de la sphère psychologique

Pour le Docteur Rafi, il faut souligner l’importance de la sphère psychologique au sein de l’examen neuropsychologique. Cet examen permet de voir où se situent les niveaux d’apprentissage mais aussi l’image de soi, la vulnérabilité : Vais-je faire une crise aujourd’hui ? Et demain ? Dois-je en parler ?

« Peu importe le nombre de rendez-vous, on prend toujours le temps de cerner le profil psychologique du patient », insiste le Docteur Rafi.  Certaines personnes ont la force d’affronter, d’autres ont besoin de plus d’accompagnement pour entrer dans la vie active et acquérir une autonomie (passage de l’adolescent au jeune adulte). Les professionnels de l’association Ciera travaillent ainsi sur les connaissances pédagogiques, les aspects thérapeutiques et le professionnalisme. 

« Nous cherchons aussi à obtenir des partenariats avec des collectivités et des entreprises privées », conclut le Docteur Rafi.

 

Les grands témoins de la FFRE

Témoignage de Cécile Queyroi, patiente 

« J’ai 27 ans, je suis épileptique depuis l’âge de 12 ans, avec une épilepsie sévère pharmaco-résistante. Au collège cela ne m’a pas trop dérangée, puis j’ai suivi 14 traitements, sans résultats. Le lycée a été une période difficile, je me sentais rejetée par beaucoup, des adolescents mais aussi des professeurs, qui étaient pourtant au courant. J’étais très absente avec une altération de la mémoire, de la logique et de la concentration. Je me sentais noyée par les cours, je me suis raccrochée aux amis et à ma famille. Après deux redoublements et une dépression j’ai fait une tentative de suicide. Grâce à mon neurologue, j’ai intégré le centre pour jeunes de 6 à 20 ans atteints d’épilepsies sévères. Les professeurs allaient à mon rythme, j’ai redécouvert le lycée et cela redonné confiance et goût dans les études.

Mon épilepsie s’est arrêtée pendant deux ans et demi après mon opération. J’ai pu envisager des perspectives professionnelles que je n’imaginais plus possibles.

J’ai eu mon bac pro, maintenant il faut trouver du travail avec la RQTH.

J’ai eu la chance d’être bien entourée quand je suis sortie du centre. Aujourd’hui, mon épilepsie est revenue pour le moment, je ne peux plus travailler, je fais du bénévolat à la FFRE, mais cela m'a redonné confiance. On verra. »

 

Justine Lepelletier, patiente

« J’avais 17 ans quand un soir à Noël, j’ai fait ma première crise et je me suis retrouvée à l’hôpital. J’étais en première bac pro service à la personne et un jour j’ai eu une grosse crise en classe. Les professeurs ont bien réagi, mais il y avait des personnes désagréables parmi les élèves. J’ai obtenu mon bac, grâce au soutien de mes parents. J’ai suivi une formation d’aide médico-psychologique, j’ai obtenu mon diplôme en 3 ans au lieu de 2. Je me retrouvais souvent fatiguée, c’était dur de suivre les cours. Avant l’épilepsie, je voulais travailler avec des enfants handicapés, il faut se réorienter et c’est difficile. J’attends la RQTH et l’AAH avec Cap emploi c’est un parcours long et difficile. Le permis de conduire est aussi une difficulté. »

 

Réponse du Professeur Stéphane Auvin 

La première des choses est de respecter la dynamique propre à chaque personne, chacun évolue à son rythme. Il faut parfois recourir à une remédiation, on ne peut pas forcer une orientation.

 

Échanges avec le public du colloque

Question dans la salle : 

Au regard de votre expérience, Cécile, que pensez-vous de l’opération ?

Réponse de Mlle Cécile Queyroi : 

Je n’ai plus les mêmes absences, même si l’épilepsie est revenue.

Réponse du Professeur Stéphane Auvin : 

La chirurgie de l’épilepsie ne conduit pas à la réussite dans 100% des cas.

Il faut évaluer sa faisabilité en fonction de la zone du cerveau en jeu et de la cause de l’épilepsie. Quand l’opération n’est pas possible on peut recourir au stimulateur du nerf vague. On cherche alors à améliorer la qualité de vie. La moitié des patients divise par deux leurs crises, mais c’est une réalité statistique qui peut être différente du vécu individuel.

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