Suite du compte rendu des débats du colloque de la FFRE du 2 février 2017
En janvier 2017 notre colloque annuel vous permettait d’échanger sur le thème de la « La vie avec son épilepsie en 2017 ».
Comme promis, nous publions donc ici les comptes rendus des deux dernières tables rondes, les précédentes ayant été relatées dans le numéro de juin 2017 de Recherche et Perspectives.
L’enfance et l’épilepsie
Le professeur Auvin fait le point sur trois thèmes principaux qui ressortent dans ses consultations de neuropédiatrie.
Les dérivés du cannabis dans les traitements de l’épilepsie (à lire aussi le résumé du projet financé par la FFRE sur ce thème dans la News de la FFRE de septembre 2017)
Pour le professeur Auvin, des données scientifiques et des données d’informations générales sont importantes à connaître. Tout d’abord, il existe différentes plantes et deux composés chimiques cannabinoïdes distincts : le CBD, en question dans les traitements de l’épilepsie, et le THC, correspondant à la « partie récréative » du cannabis. Dans certains états des États-Unis, on a fabriqué de l’huile avec les CBD avec une amélioration induite chez le patient. « Mais il est difficile de conclure avec les modèles animaux. Il faudrait que les industriels du médicament développent un produit synthétique ou fassent des essais sur des épilepsies rares comme l’épilepsie de Dravet », indique le Pr Stéphane Auvin.
D’un point de vue médiatique, l’impact d’internet a été considérable, et aux États-Unis, des familles ont même déménagé d’un État à un autre. « La réalité est différente, ce n’est pas “the magic bullet” », précise le professeur. Un essai en double aveugle montre 30 % de réduction des crises avec le traitement, et 10 % avec un placebo.
De plus, les interactions avec d’autres médicaments antiépileptiques sont à vérifier. Par ailleurs, le CBD ne sera probablement pas adapté à toutes les épilepsies, et la prescription sera limitée. Le professeur Auvin ajoute : « On n’est pas au Colorado, c’est illégal de faire pousser du CBD dans son jardin, quant au cannabis récréatif du coin de la rue, il ne sert à rien. » Donc prudence sur ce thème !
Les nouveautés dans les diagnostics
L’accès au diagnostic génétique est de moins en moins couteux et de plus en plus rapide. Le professeur Auvin fait état de 3, 4, 5 gènes qui bouleversent les traitements. Il précise toutefois que toutes les épilepsies ne sont pas génétiques. De plus, à part de rares formes d’épilepsies héréditaires, on ne peut pas parler d’hérédité. Les épilepsies héréditaires sont les moins fréquentes.
La scolarité
Pour le professeur Auvin, s’abstenir d’un redoublement scolaire pourtant préconisé n’est pas bon pour les épileptiques. Il cite l’exemple d’un enfant déscolarisé deux mois et demi en cours préparatoire (CP). Bien que son redoublement ait été demandé par ses parents et accepté par la professeure des écoles, l’inspectrice d’académie a eu le dernier mot et refusé le redouble- ment. « Cette normalisation de la scolarité oublie une frange de la population pour laquelle le redoublement peut être une chance », rappelle le professeur Auvin.
Emmanuelle Roubertie intervient sur la question de l’épilepsie à l’école :
« Nous avons mis en place un comité de pilotage avec l’Education nationale pour travailler sur l’accueil et l’accompagnement en établissements scolaires des enfants et adolescents souffrant d’épilepsie. 800 000 enseignants recevront un courrier et un document explicatif. Dès que ce projet sera finalisé, nous vous en ferons part. Les enseignants auront l’information et vous aurez un document à leur montrer le cas échéant. »
L’épilepsie en France, quelle image ? quelle prise en charge ?
En France, l’épilepsie est une maladie toujours aussi méconnue
Emmanuelle Roubertie introduit le propos de Gaël Sliman en rappelant que, comme le dit le président de la FFRE Bernard Esambert, « les gens souffrent de la maladie, mais aussi de l’image de l’épilepsie ». C’est pourquoi la FFRE a demandé à ODOXA de réaliser une enquête sur l’image de l’épilepsie dans le grand public, enquête que la FFRE avait déjà commanditée en 2000. Gaël Sliman fait le point sur la méthodologie, les résultats et les enseignements de cette enquête d’image, réalisée en octobre 2016. Ce sondage a été réalisé sur un échantillon de 1 000 personnes à la demande de la FFRE. Les questions sur la forme et le fond sont celles qui avaient déjà été posées il y a 15 ans. « Les choses ont peu changé. Il est important de ne pas se cacher cette réalité », conclut Gaël Sliman.
La question n° 1 interroge le niveau de connaissance de la maladie par les Français : 7 % des gens connaissent très bien l’épilepsie, car ils sont eux-mêmes touchés ou bien une personne de leur entourage, ce qui permet d’estimer à plus de 3 millions le nombre de personnes directement concernées en France.
Normalement, cela devrait mener à un niveau de connaissance plus élevé dans la population générale. « Pourtant, près de 70 % des personnes interrogées connaissent mal l’épilepsie, c’est paradoxal », ajoute Gaël Sliman. Les Français ont d’ailleurs raison de dire qu’ils ne connaissent pas l’épilepsie tant les idées fausses persistent sur la maladie : 50 % des gens pensent que c’est une maladie nerveuse, 2 % croient qu’il s’agit d’une maladie mentale et que le traitement de l’épilepsie est d’ordre psychiatrique. Si 89 % des gens font référence aux médicaments pour soigner l’épilepsie, la moitié des Français envisage aussi le recours à la médecine parallèle. De plus, 90 % des Français sous-estiment la prévalence de la maladie : un Français sur deux divise par 5 ou par 10 la prévalence de l’épilepsie. Quant aux causes de l’épilepsie, pour certains Français, l’alcoolisme, la dépression, la folie peuvent être à l’origine de la maladie. Pour 1 Français sur 10, l’épilepsie peut même avoir des causes surnaturelles. En conséquence, il existe des stéréotypes, des idées fausses, voire des discriminations concernant l’épilepsie.
Par ailleurs, on imagine que les épileptiques ne peuvent pas faire certaines choses. 45% des Français pensent qu’une personne épileptique ne peut pas conduire,
70 % des personnes interrogées croient qu’une personne épileptique ne peut pas exercer n’importe quelle profession.
Il faut donc lutter contre les idées reçues et les préjugés. Gaël Sliman conclut par un message d’espoir : « Si les gens ne savent pas grand-chose sur l’épilepsie, quand on leur explique la prévalence de la maladie, ils sont intéressés et estiment qu’il faudrait faire plus pour cette maladie. »
Quels problèmes dans la prise en charge de l’épilepsie et quelles actions pour l’améliorer ?
Pour le professeur Derambure, il y a une vraie volonté, depuis 2 ans, de regrouper les forces pour réfléchir à la manière de prendre en charge l’épilepsie. En ce qui concerne le diagnostic de la maladie, qui correspond à la phase d’entrée dans la maladie et donc à une période de souffrance, des recommandations bien précises sont élaborées, de même que pour la prise en charge de la première crise. Une volonté d’organiser la filière de prise en charge sur le modèle de l’AVC fait jour. Pour ce qui est des épilepsies compliquées, des centres spécialisés sont à mettre en place dans toute la France, estime le professeur Derambure. Quant au suivi de la maladie, il considère qu’il faut avoir accès à un certain nombre d’informations et coordonner ce qui existe déjà : l’ensemble des structures, associations de patients, fondations, ligues et sociétés savantes. « La FFRE est importante à cet égard, Emmanuelle Roubertie joue un rôle important de coordination d’une Task Force épilepsie qui œuvre auprès des pouvoirs publics depuis 2 ans », précise le professeur Derambure.
Le docteur Rafi dresse le tableau des problèmes liés à la prise en charge de l’épilepsie, à savoir :
• le manque d’information sur l’épilepsie,
• le manque de coordination et/ou de communication des professionnels,
• le manque de coordination et/ou de communication avec la personne qui adresse le patient,
• la nécessité de poser rapidement un diagnostic,
• le suivi médicamenteux,
• la prise en charge thérapeutique en fonction des difficultés (psychologue, neurologue, psychomotricien…),
• l’accès à l’autonomie (apprendre à faire avec les conseils d’un professionnel).
Le docteur Rafi expose ensuite les solutions à apporter à la prise en charge de l’épilepsie :
•informer la population, former les professionnels,
• faciliter l’accès à un diagnostic précis dès le départ, avec une équipe pluridisciplinaire qui doit prendre en charge le plus rapidement possible la personne pour tendre vers l’autonomie du patient (désinhibition, modification du comportement sexuel, agressivité, manifestations hystériques),
• travailler sur le projet scolaire, le projet professionnel, l’orientation,
• informer les pouvoirs publics des points connexes de l’épilepsie,
• informer les familles,
• mettre en place un réseau de professionnels,
• comprendre le quotidien de la personne épileptique, faire intervenir le praticien au plus près de la personne,
• coordonner.
Conclusion du président de la FFRE, M. Bernard Esambert
« Je voudrais d’abord remercier tous ceux qui ont enrichi ce colloque, intervenants, patients, témoins… Je suis le père d’un garçon épileptique qui a une épilepsie rare, déclenchée à l’âge de 10 ans. J’ai compris qu’il faudrait renverser des montagnes pour lui, c’est pourquoi j’ai décidé de créer une fondation. La FFRE est ainsi née. Elle a organisé des colloques, touché les pouvoirs publics, des associations se sont créées à son initiative.
Le parcours d’un épileptique est très difficile. Dès l’enfance, les enfants sont stigmatisés, à l’école et ailleurs… Dès l’annonce de la maladie, le problème se pose, l’offre médicale est inférieure à la demande, les moyens d’investigations tels que l’EEG sont difficiles d’accès.
En ce qui concerne l’école, les choses sont complexes, le non redoublement n’est pas forcément une mauvaise chose, mais le redoublement a aussi ses vertus. Je ne me hasarderai pas à trancher.
À la puberté, à l’âge adulte se pose pour les femmes la question de la grossesse, puis, tous les problèmes liés au monde du travail.
J’avais à cet égard un doute, mais en participant au colloque des médecins du travail, nous nous sommes aperçus qu’ils voulaient, comme nous, que les épileptiques ne soient pas stigmatisés. Parcours difficile pour les épileptiques, pour leurs parents, leur entourage. C’est sur tous ces thèmes qu’il faut lutter. Nous le faisons avec une équipe restreinte, et dans un contexte dont vous avez pu avoir une photographie, grâce au sondage ODOXA, qui rappelle l’enquête que nous avions faite il y a 15 ans.
Il existe un défaut d’information auquel il faut remédier. La sagesse doit se mettre au niveau de la science.
J’espère que la science nous permettra de trouver des solutions radicales pour lutter contre la maladie. Voici les vœux que je forme pour cette année et je vous donne rendez-vous l’année prochaine. »